Je suis ma mère.
Depuis longtemps, certes, mais quand même.
Il faut que je vous raconte, ma mère, pourquoi je dis qu’elle est folle, plus que moi, et pourquoi je hausse dubitativement les épaules quand on me dit qu’elle est géniale, pleine d’énergie etc etc…
Ma mère, c’est le reflet brillant d’une femme parfaite, pleine d’énergie, sure d’elle, sachant tout faire, épanouie dans sa vie familliale, avec ses trois brillants enfants et son mari qui réussit si bien, sociale, avec sa horde de copine, professionnelle, puisque toujours occupée malgrés son parcours atypique. Voilà, en substance, ce que tous ceux qui la connaissent vous diront, peut-être que les plus proches auront un soupçon de culpabilité, sa sœur Hélène, Odile, sa meilleure amie…, de passer sous silence, de ne pas tenir compte de certaines choses. Mais bon, c’est plus ou moins comme ça qu’elle apparaît non, quand elle sort de son bureau en souriant, avec le bruit tellement caractéristique de la porte et de son pas, pour vous accueillir ?
Mais je suis ma mère. Comme le christal à scintillation qui absorbe tous les photons et les redonnent sous forme d’électrons, j’absorbe tout, les émotions, les bribes de conservations, les tensions, je vois tout, et je suis la seule à voir, et je fais plus ou moins mienne toutes ces énergies absorbées. Je ne vais pas skier quand elle se blesse à l’œil, je déteste rentrer de bretagne, je deviens morose quand je touche Paris, je ne veux d’ailleurs pas y vivre, je veux être psychiatre, je veux sortir de cet appartement, je suis la même jeune fille farouche et timide que ma mère était, loin des « hommes » et des cœurs, j’écris même, comme elle ! Je crois que ce petit jeu pourrait se poursuivre à l’infini, jusqu’à ne plus savoir où je suis, qui je suis, moi vraiment, ce petit moi qui s’individualise lentement, qui grandit et qui prend peu à peu conscience de lui-même… Et qui lutte pour ne pas se faire noyer par sa mère, par le poids de ses angoisses et de son désespoir, par ses larmes une semaine avant le bac, par ses larmes une semaine avant médecine – c’aurait pas été drôle sinon, et cette fois, j’ai pas pleuré, j’ai réagit calmement, voyez je grandis, je coupe le cordon, je veux sortir de cette appartement, ne plus la voir, ne plus avoir à vivre avec elle, ne plus voir, dans tous ses soupirs et dans toutes ces remarques, un couple qui se dissolve, et surtout – parce que le deuil du couple est fait, maintenant – une mère qui s’effondre. Imaginez là, la mer qui s’effondre.
Et le plus drôle, c’est qu’elle m’avait dit, oh, quand elle a commencé à voir un psy surement, quand elle a commencé ce qu’elle (la psy) doit appeler « son travail sur le passé », que quand elle était petite, elle savait que sa mère n’était pas heureuse, elle l’entendait pleurer et se disputer avec Grand-Père, et que c’est dur, de savoir que sa mère n’est pas heureuse, et puis elle a continué, alors que son travail sur le passé avançait, à nous dire, à soutenir fermement, pendant les repas, qu’elle était malheureuse petite, qu’elle aurait du être un garçon, qu’elle était donc un garçon, que ses sœurs étaient des chiennes, qu’on l’embrassait jamais, qu’elle n’avait pas été désirée, qu’on lui disait tout le temps qu’elle était nulle, etc etc, et puis, ensuite, le début du mariage avec papa, et mamie, on la connaît mamie, qui lui en a fait voir de toutes les couleurs, et elle se laissait faire, et papa disait rien – l’énorme bouquet de fleurs dans la chambre de la nuit de noce, un chèque en partant après avoir passé une semaine de vacances avec nous, à Bréa, etc – et ensuite ? un mari dur, qui l’aidait pas du tout avec les trois momes, même quand ils travaillaient autant et gagnaient autant – et moi, naîve : « mais maintenant il s’occupe de nous papa » « mais oui, c’est parce qu’il a peur de vous perdre » et vlan.
Et puis la fin, la fin hier soir, on est rentrée à minuit, et je n’arrivais pas à m’endormir, et j’ai entendu des sanglots, et pis au bout d’un moment, je suis allée voir, je n’arrivais pas à dormir, il me semblait qu’il fallait que je sache – maman était dans le lit de pierre, elle pleurait, dans son peignoire, il n’y avait pas de larmes qui coulaient, juste des sanglots, des raclements de gorges quand l’air passait, haletant, et une main qui maintenait les yeux fermés, je ne voyais pas ses yeux, une main avec toutes les veines saillantes, la peau qui les escaladait, une espèce de bosse ronde sur le plat de la main, une main décharnée, avec les muscles qui se découpaient nettement, une main qui avait pris 30 ans en dix minutes – dans l’écume des jours, maman serait millénaire.
Au début, elle ne disait rien, elle m’a juste dit d’aller me coucher, et elle s’est excusée, avec une voix presque normale, et puis, à un moment, elle a parlé – qu’elle ne supportait pas de rentrer à Paris, qu’il lui fallait avoir la terre sous les pieds, et voir le ciel, qu’elle avait l’impression d’être enterrée vivante, qu’elle n’aurait jamais du venir à Paris, qu’il fallait qu’elle quitte cet appartement, que pourquoi son mari voulait aller dans des endroits ou elle ne pouvait pas vivre, que « surtout, ne te coupe jamais les ailes, jamais, c’est trop horrible » elle avait des rales de souffrances, elle se tournait un peu plus, elle… qu’elle était cassée, qu’elle n’avait plus la force – parce que moi, j’ai fait tourné mes méninges pour trouver la solution – parce que répéter « ya toujours des solutions dans la vie » sté pas top – il y avait ish qui disait qu’elle adorait sa banlieue, être à une demi-heure de paris et pourtant – parce bien sur maman ne veux pas être seule, elle préfererait pas – pas qu’elle aime particulièrement papa, mais la trinité, et la solitude… – alors voilà, tu imagines, une petite maison en banlieue, à une demi-heure de paris, papa peut venir le week end, et en semaine, être entre les deux maisons… - mais je suis cassée, j’ai pas la force de recommencer, pas la force, paris, la trinitée, ça m’a pris deux ans de ma vie à chaque fois…
Voilà. Ma mère, énergique et sure d’elle, n’est qu’un champ de ruine, qui avec un mari pareil, n’est pas près de se reconstruire. Il faudrait qu’elle ait son job à émaus, pour avoir de l’argent à elle, qu’elle s’achète cette foutue maison en banlieue !
Je suis ma mère, vous rappelez vous la métaphore de l’oiseau écrasée au sol, l’oiseau dans sa cage dorée, parisienne ? Je veux m’en aller de cette maison, sortir. Je ne sais même pas ce qui en moi est moi, si la médecine c’est moi, ou elle, je peux tout remettre en doute, puisqu’elle veut être partout sauf ici, et que je ne peux être que partout ou ici. Alors voilà, en ce moment, c’est la vie de la sœur d’Odile que je fancie, célibataire et médecin, elle a pas de mômes ni de mari, étrange.
Voilà. Vous comprenez bien pourquoi je veux m’en aller de cette maison. Pourquoi je n’aime pas trop ma mère. Mon père ne dit jamais rien, mais il sait ce qu’il veut, et il ne dit pas quand ça va pas. Je suis ma mère. J’aimerais déméler les deux personnalités. Je veux m’en aller, ne pas rentrer dîner le soir, et donc, il n’y a qu’une seule solution, la coloc. Avis aux volontaires. Cherche colocataires. Et arrêter de me dire que ma mère est géniale, ou marrante. Arrêter de me dire que mon père est drôle.
« surtout, ne te coupe jamais les ailes, jamais, c’est trop horrible »
Le problème, c’est que «son ventre est mon pays d’origine » et qu’on ne fait pas sans sa mère, et qu’elle ne fait pas sans moi.
1 commentaire:
ma mère est moins inerte que je pensais.. elle a parlé à papa de la maison en banlieue, papa qui a alors acheté un journal genre demeures de prestige... et qui dit "si ta mère est mieux ailleurs, moi jveux bien bouger"
comme quoi, dans la vie, ya toujours des solutions.
si elle a ça - même nathan est partant - et son job...
vous vous rendez compte, une mère en pleine forme vraiment, genre vraiment épanouie et vraiment heureuse? vous croyez que ça existe?
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