lundi 16 juin 2008
mercredi 4 juin 2008
Le cynisme des Etats face à la réalité de la crise alimentaire
Par Rue89 Edito | 03/06/2008 | 08H23
Dans le théâtre de la diplomatie mondiale, Rome est mardi l’endroit où il faut être. La capitale italienne accueille en effet le sommet mondial de l’alimentation, prévu de longue date, mais auquel la récente vague d’émeutes de la faim dans des capitales du monde en développement a soudain donné un caractère d’urgence. Ils seront donc tous présents pour la photo de famille, au chevet d’une planète qui redécouvre le mot “faim”.
Etrange sommet, au demeurant, puisque Nicolas Sarkozy y croisera des dizaines d’autres chefs d’Etat, dont certains pestiférés comme le zimbabwéen Robert Mugabe, pourtant responsable des problèmes alimentaires dans son pays, ou l’Iranien Mahmoud Ahmadinejad qui s’est invité tout seul.
Mais l’indécence n’est pas tant la présence de ces personnages contestés, que l’hypocrisie internationale sur le sujet. Le sommet débouchera sur une grande déclaration d’intentions, mais aucun engagement précis, déplorait le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation -car c’est un droit reconnu internationalement-, le Belge Olivier de Schutter. Et d’appeler à aller au-delà des mesures d’urgence en réinvestissant massivement dans l’agriculture, en particulier en Afrique, clé de l’avenir.
Trop d’intérêts sont en jeu dans cette équation agricole: d’abord ceux des agrocarburants entrés en concurrence frontale avec l’alimentation, ceux des agriculteurs protégés des pays du Nord, ou encore ceux des spéculateurs qui profitent de la situation de crise pour accroître leurs profits.
Plus grave encore, à côté de ces urgences conjoncturelles qui affectent principalement les villes, il existe une sous-alimentation structurelle, principalement en Afrique et dans le sous-continent indien, qui tue chaque année entre 2 et 5 millions d’enfants de moins de trois ans. C’est-à-dire entre 5000 et 13000 enfants qui meurent chaque jour. Médecins sans frontières, qui est entré en guerre contre ce phénomène, souligne qu’il est parfaitement identifié et cerné, et que les solutions existent: une nouvelle génération d’aliments thérapeutiques jugés très efficaces. Or, selon MSF, seuls 3% des cas de malnutrition sévère reçoivent un traitement adapté.
Il y aura, autour de la table du sommet de Rome, les représentants des pays qui disposent des technologies et des entreprises capables d’agir, il y aura les représentants des pays pétroliers qui ont vu leurs revenus gonfler en centaines de milliards de dollars. Et il y aura des organisations du système des Nations Unies dont c’est la mission d’éradiquer la faim.
Et pourtant, faute de leadership et de volonté politique, il y a peu de chances de se tromper à pronostiquer que ce sommet ne permettra pas de traiter ne serait-ce qu’une petite partie du problème qui serait de sauver ces enfants. Dans le cynisme des relations internationales, on se contentera d’une belle photo de famille et de vagues promesses.
Pierre Haski
► Edito diffusé mardi 3 juin sur Europe1. Retrouvez l'édito de Pierre Haski tous les mardi et jeudi à 7h42 sur Europe1, et en podcast en cliquant ici.